Dans un rapport remis à l’Institut Terram, Lova Rinel, commissaire à la Commission de régulation de l’énergie (CRE), dresse un constat sans détour : les modules solaires « standards » et bien des solutions de stockage ne sont pas adaptés aux réalités équatoriales et tropicales humides des zones non interconnectées (ZNI). Intitulé Énergie en Outre-mer : enjeux d’un service public sous contrainte, le document invite à rompre avec une transposition « clé en main » de modèles continentaux et à considérer les ZNI comme des espaces d’innovation sous contrainte. L’expérience de Saint-Leu, à La Réunion, y est citée comme preuve que des dispositifs robustes peuvent émerger dès lors que les acteurs publics, techniques et territoriaux travaillent de concert.
Transition sous contrainte : inadaptation des modèles technologiques standard aux réalités locales
Pensées pour des environnements métropolitains — réseaux maillés, densité urbaine, logistique fluide — les solutions importées peinent sous les tropiques. Humidité constante, dispersion de l’habitat, accès difficile et aléas climatiques récurrents rendent la simple copie des recettes européennes inopérante. À Cayenne, des nettoyages manuels fréquents, parfois toutes les deux semaines, sont nécessaires pour limiter l’encrassement des panneaux dû aux pluies acides, poussières latéritiques, pollens et biofilms.
Des travaux menés en zone équatoriale estiment un taux de dégradation annuel des modules de 2 à 3 %, soit jusqu’à 20 % de perte de performance en dix ans malgré l’entretien. La Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) alerte de surcroît sur les effets combinés de la corrosion prématurée, de la prolifération microbienne et d’une faible durabilité des matériaux importés. Le problème n’est donc pas uniquement technologique : il tient au modèle de transition lui-même, qui doit intégrer des spécifications « tropicalisées » dès la conception.
Les batteries en souffrance sous climat tropical
Présentées comme le complément naturel du solaire, les batteries voient leur durée de vie chuter en climat équatorial, avec des comportements instables, un risque incendie accru et, à la clef, des bilans économiques dégradés. La CRE déconseille d’ailleurs explicitement le stockage décentralisé en Guyane, jugé peu fiable et coûteux pour la régulation locale. Pourtant, appels d’offres, PPE et feuilles de route nationales continuent de promouvoir ces dispositifs, reflet d’un « logiciel métropolitain » focalisé sur le rendement et la vitesse de déploiement, sans intégrer pleinement humidité, insularité et dispersion.
Ailleurs en zone tropicale (Afrique subsaharienne, Asie du Sud-Est, Amériques), le constat converge : équipements importés bon marché, tenue dans le temps insuffisante, réparabilité limitée, fin de vie non pensée. Une étude montre qu’en climat équatorial humide, les performances effectives peuvent être jusqu’à 25 % inférieures aux simulations européennes et le coût actualisé de l’énergie 30 % plus élevé. Autrement dit, même avec une ressource « gratuite », le kWh solaire peut dépasser le thermique si le système est mal adapté. Le rapport souligne en outre le manque d’études académiques sur les ZNI françaises, un vide stratégique à combler d’urgence.
L’exemple probant de Saint-Leu à La Réunion
Le rapport appelle à transformer ces contraintes en avantages comparatifs. À Saint-Leu, des systèmes performants ont été conçus, installés et maintenus malgré un contexte exigeant, grâce à la coopération des équipes de la CRE, d’EDF-SEI, des services déconcentrés de l’État et des ingénieurs territoriaux. Cette réussite valide une méthode : co-conception locale, sobriété opérationnelle, spécifications matérielles adaptées (anticorrosion, étanchéité renforcée, filtrations et protections microbiennes), schémas de maintenance réalistes et formation de proximité.
Les compétences existent, les outils aussi ; ce qui manque, insiste Lova Rinel, c’est la reconnaissance stratégique des Outre-mer comme laboratoires d’innovation énergétique. En en faisant des pilotes assumés, la France peut tirer des solutions exportables vers l’ensemble des régions tropicales, tout en sécurisant un service public de l’énergie adapté aux réalités de ses territoires.