Pionnier de l’alerte climatique, le journaliste américain Bill McKibben a longtemps livré des diagnostics sombres. Le voici pourtant résolument optimiste : la chute des coûts du solaire change l’équation. Son nouveau livre, très attendu, paraît demain aux États-Unis.
Longtemps cantonné à l’horizon des civilisations humaines comme simple source de lumière et de chaleur, le Soleil est en train d’endosser un nouveau rôle : celui de moteur principal de l’économie énergétique mondiale. C’est du moins le constat que dresse l’écrivain et militant écologiste Bill McKibben dans un article percutant du New Yorker, intitulé « 46 Billion Years On, the Sun Is Having a Moment ».
À mesure que la transition énergétique se dessine, parfois dans la douleur, une révolution discrète mais déterminée est en cours. L’énergie solaire, que d’aucuns jugeaient il y a peu encore marginale, voire utopique, connaît un essor sans précédent. En 2022, l’humanité avait franchi le cap symbolique du premier terawatt installé. Deux ans plus tard à peine, un deuxième a déjà vu le jour. La croissance n’est plus linéaire, elle est exponentielle.
Une dynamique mondiale irrésistible
Les chiffres sont éloquents : 96 % de la croissance de la demande électrique mondiale a été absorbée, ces derniers mois, par les énergies renouvelables, principalement solaires. L’année écoulée a vu la puissance photovoltaïque croître d’un tiers, un rythme que l’on aurait jugé irréaliste il y a encore une décennie. En parallèle, les capacités mondiales de stockage par batteries ont explosé : 80 GW déployés en 2025, soit huit fois plus qu’en 2021. Une révolution silencieuse, mais d’une ampleur comparable à celle de l’informatique ou de la voiture au XXe siècle.
Les États-Unis, la Chine, l’Inde, l’Europe et même certaines régions d’Afrique accélèrent. Le Texas rivalise avec la Californie. La Pologne, jadis perçue comme dépendante du charbon, s’équipe à grande vitesse. Le monde n’est plus divisé entre pays producteurs et consommateurs : le soleil, lui, brille pour tous.
La fin d’une dépendance stratégique
À travers cette transformation énergétique, c’est aussi la géopolitique qui se reconfigure. Le pétrole et le gaz, concentrés dans quelques États riches en ressources fossiles, ont longtemps structuré les relations internationales, les conflits et les dépendances. Le solaire, lui, est décentralisé, infini, disponible partout, et — fait rare — ne s’exporte pas par pipeline ou cargaison, mais se capte localement. Il permet une réappropriation territoriale de la production énergétique.
Cette transformation n’est pas qu’une affaire d’innovation technique ou de chiffres économiques. Elle est culturelle et politique. Le solaire ne produit pas seulement de l’électricité, il redistribue le pouvoir. Moins de dépendance aux géants du gaz, moins de vulnérabilité aux tensions géopolitiques. Plus de résilience, plus d’indépendance, plus de paix potentielle.
Les ombres d’une transition
Mais cette marche vers la lumière ne se fait pas sans résistance. Aux États-Unis, les crédits d’impôts fédéraux qui soutiennent le développement solaire sont aujourd’hui menacés. Si cette remise en cause se confirmait, 72 % de la production d’électricité propre prévue d’ici à 2035 pourrait disparaître, estime le Rhodium Group. Un tel retournement serait dramatique, tant pour le climat que pour l’économie. Il illustrerait une nouvelle fois à quel point la transition énergétique est aussi un combat politique, face à un lobby fossile encore puissant.
Le moment solaire : une rupture historique
Bill McKibben ne se contente pas de chiffres. Il place ce moment dans une perspective plus large. Le solaire est, selon lui, un changement de paradigme, au même titre que la révolution industrielle ou la généralisation d’Internet. Un basculement qui transforme les structures, les logiques, les imaginaires.
L’accélération actuelle est rendue possible par la chute continue des coûts : le prix des batteries a chuté de 95 % depuis 2021, et continue de baisser. L’efficacité croît, les matériaux sont mieux recyclés, l’intelligence des systèmes s’affine. Le solaire, dopé par le stockage, forme un duo redoutablement efficace. À mesure que le soleil alimente les réseaux, il éclaire aussi un nouvel avenir pour nos sociétés.
Une lumière d’espoir
Le message de McKibben est limpide : nous avons enfin un outil, accessible, propre, abondant, pour répondre à l’urgence climatique. Le soleil a toujours été là, mais jamais autant mobilisé. Il est temps de lui faire de la place, de reconfigurer nos économies autour de lui. Le faire, c’est entrer dans une ère nouvelle — une ère où l’énergie ne sera plus un facteur de crise, mais de cohésion.
Il aura fallu 4,6 milliards d’années pour que le soleil ait enfin « son moment ». Espérons que l’humanité sache saisir cette chance, et la transformer en renaissance.
Cet article est tiré du livre de Bill McKibben à paraitre le 19 août 2025 « Here Comes the Sun: A Last Chance for the Climate and a Fresh Chance for Civilization ».