
Avec Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie (éditions du Seuil), l’historien des sciences Jean-Baptiste Fressoz s’attaque à un pilier du discours écologique contemporain : l’idée même de « transition énergétique ». En 400 pages rigoureuses et engagées, il démonte une fiction bien ancrée, celle d’un passage linéaire d’une énergie à une autre — du bois au charbon, puis au pétrole, aujourd’hui au renouvelable.
Pour l’auteur, chercheur au CNRS et enseignant à l’EHESS, cette idée rassurante d’une substitution progressive masque une réalité bien plus brutale : les énergies ne se remplacent pas, elles s’additionnent. Le charbon n’a pas évincé le bois. Le pétrole n’a pas fait disparaître le charbon. Résultat : la consommation mondiale d’énergie continue de croître, et avec elle les émissions de gaz à effet de serre. L’humanité ne change pas de système énergétique : elle l’alourdit.
Fressoz dénonce ce qu’il appelle le « phasisme », une vision téléologique du progrès énergétique, héritée des années 1970, qui classe les sources d’énergie en "âges" successifs — âge du bois, âge du charbon, âge du pétrole — comme on parle de l’âge de pierre ou du bronze. Cette lecture linéaire, largement reprise dans les discours politiques et industriels, sert selon lui à justifier l’inaction : puisqu’une transition est « en cours », pourquoi forcer le rythme ?
Loin de se limiter à la critique, Sans transition défend un nouveau cadre d’analyse. Il plaide pour une lecture systémique et matérielle de l’histoire énergétique, où chaque énergie s’inscrit dans un écosystème technique, économique et social complexe. Il appelle aussi à cesser de croire que la technologie suffira à décarboner nos modes de vie. La priorité, selon lui, doit être donnée à la sobriété, au réductionnisme industriel, et à une réorganisation profonde des usages.
Dans un style clair mais exigeant, Fressoz mobilise archives, statistiques et exemples concrets. Il interroge la place centrale du béton, de l’acier, du fret, des infrastructures dans la dynamique énergétique contemporaine. Et il souligne combien les grands discours sur l’éolien ou les voitures électriques risquent de reproduire les erreurs du passé si la question de la demande énergétique n’est pas posée frontalement.
À l’heure où les États annoncent la « sortie du fossile », Sans transition vient rappeler une vérité inconfortable : la transition énergétique n’a pas commencé. Et ne commencera pas sans un changement radical de cap.