mardi, octobre 7, 2025
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Interview/Stéphane François : « Pour le RN, les énergies renouvelables détruisent les paysages »

Après l’immigration, les EnR sont devenues la nouvelle marotte du Rassemblement National avec des attaques d’une violence inouïe sur le sujet notamment par le biais de Jean-Philippe Tanguy, monsieur énergie du parti. Le RN vient de déposer une proposition de loi pour freiner le solaire. Et que dire de son antagonisme pour l’éolien. Pour évoquer le rapport du RN aux énergies renouvelables, entretien avec Stéphane François, politiste spécialiste de l’écologie politique radicale.  

Plein Soleil : Comment expliquer cette aversion du RN pour les EnR ?

Stéphane François : Cette aversion est très ancienne. Pour le RN, les énergies renouvelables ne sont pas efficaces. Un point c’est tout. Jean-Marie Le Pen se moquait déjà de l’écologie et de ces formes d’énergies. Pour lui, ce n’étaient que des marottes de « bobos gogos ». Mais il est vrai qu’il considérait que la seule solution résidait dans le progrès technique, faisant confiance au « génie humain ».

Pour sa fille, ce ne sont que des moulins à vent sans intérêt et de faibles ressources. Et qui ont un défaut majeur : elles détruisent les paysages. Et il n’est pas là question de préservation de la nature, des biotopes ou de la biodiversité. Le RN n’en a cure. Mais bien des paysages, du patrimoine, expression d’une civilisation. Des panneaux noirs sur un toit typique et traditionnel en tuiles canal terra cota, cela fait tache, c’est moche. Le RN rêve toujours d’une France à la Audiard. Il est resté bloquer dans les années 60 et 70.

« Le RN fait preuve de beaucoup de démagogie sur le sujet des EnR »

Plein Soleil : Cette notion patrimoniale dicte-t-elle la politique énergétique du RN ?

Stéphane François : C’est un fait. On le voit avec les éoliennes qui seraient très bruyantes selon le RN et qui feraient chuter le prix des maisons se trouvant à proximité de celles-ci. Je suis des Hauts-de-France, il y a des éoliennes partout. Ce que l’on entend dans cette région, fief du RN, est que l’on ne veut pas de cela chez nous. Le RN veut même démonter les éoliennes. C’est un effet du « gaucho lepénisme », pour reprendre la formule de Pascal Perrineau, dans un territoire très marqué par le chômage post industriel. La vente d’un bien immobilier hérité permet d’accumuler un capital (souvent petit). Une frange non négligeable de la population vit dans la précarité, se sent abandonnée par l’Etat et on leur impose des énergies renouvelables dont ils ne veulent pas. C’est du pain béni pour ce parti. Et, de fait, certaines associations locales anti-éolien sont pilotées par le RN. La dichotomie entre fin du mois très difficile et une fin du monde très éloignée est aussi très prégnante : on pense à l’instant présent et non au futur. C’est une réflexion à court terme. Par démagogie (le RN est plus un parti démagogique que populiste), mais aussi par désintérêt pour cette question, le RN s’est adapté à cet électorat sur le sujet des EnR.

Plein Soleil : En revanche, le nucléaire a les faveurs du RN. Pourquoi cet aveuglement autour de l’atome ?

Stéphane François : Le RN, comme le FN avant lui, défend le nucléaire au nom de l’indépendance et de la souveraineté énergétique de la France. Il se positionne dans une logique productiviste avec la possibilité d’exporter et de vendre de l’électricité à nos voisins. La France comme poumon énergétique de l’Europe ! Cette logique s’appuie sur de nombreux lobbyings et une frange non négligeable de hauts fonctionnaires au formatage idéologique très tourné vers l’atome, voire vers une forme de gaullisme. La défense du nucléaire était déjà proposée par Jean-Marie Le Pen, bien qu’il fût persuadé que le nucléaire était potentiellement dangereux.

Surtout, pour le RN, seul le nucléaire permettra aux Français de vivre comme ils vivent aujourd’hui, sans rupture civilisationnelle, autour d’un slogan « Pour l’écologie de la joie de vivre des Français en France ». Un peu comme un Georges Bush qui éructait sans cesse : « Le train de vie des Américains n’est pas négociable ». Le programme du RN consiste à ne rien changer au système de production du point de vue des énergies utilisées. C’est une raison essentielle de la mise en avant du nucléaire. Pour la souverainetél’argument est plusspécieux quand on sait que l’essentiel du minerai vient d’Afrique, du Kazakhstan, du Canada et même de Russie… On ne peut pas penser à tout. Mais je suis taquin.

Le RN avance l’idée d’une « écologie positive », en l’opposant à une « écologie punitive et bureaucratique »

Plein Soleil : A l’instar d’un Donald Trump, le RN est-il climatosceptique ou même climatodénialiste ?

Stéphane François : Officiellement non, officieusement oui. Depuis 2012, le RN a mis en veilleuse son climatoscepticisme. Ils sont devenus prudents sur le sujet. Ceux qui l’évoquent au sein du parti, ce qui arrive régulièrement, se font taper sur les doigts même si Trump représente un modèle fort sur le sujet. En revanche, Jean-Marie Le Pen ne l’a jamais masqué. C’était un climatosceptique assumé.

En France, toute l’extrême droite n’est pas climatosceptique. Des essayistes et théoriciens d’extrême-droite comme Alain de Benoist, tenant d’une écologie identitaire, ou le très prométhéen et nietzschéen Guillaume Faye qui prônait la technoscience de puissance – innover pour exister – comme solution à tous les problèmes et notamment celui du changement climatique, ne se positionnent en rien dans le déni climatique. Jordan Bardella suit cette ligne. N’a-t-il pas proclamé lors d’une interview à Télématin : «Vous ne me ferez jamais dire que je suis climatosceptique».  Reste qu’à chaque fois que Jordan Bardella a l’occasion de prouver son prétendu engagement sur des textes écologiques ambitieux, il ne le fait pas. Il vote systématiquement contre l’intérêt écologique. Un exemple. L’eurodéputé Bardella s’est prononcé contre l’interdiction de la vente de véhicules neufs à moteur thermique en 2035.     

Plein Soleil : Justement, dans ce contexte, le Green Deal européen très volontariste ne doit pas être du goût du RN et renforce ses convictions anti-européennes. N’est-il pas ?

Stéphane François : Le RN avance l’idée d’une « écologie positive », en l’opposant à une « écologie punitive et bureaucratique », c’est-à-dire contraignante, et notamment, comme vous le dites, au Green Deal, « imposé » par l’Union européenne, jugé contre-productif et fustigé par Jordan Bardella lors des dernières élections européennes par exemple. Jordan Bardella a même demandé son retrait pur et simple. Paradoxe angoissant, le prochain rapport législatif sur l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne à l’horizon 2040 sera porté par un eurodéputé du groupe d’extrême droite Patriotes pour l’Europe présidé Jordan Bardella, une première dans l’histoire de l’institution. Une fonction qui lui donnera l’opportunité de fustiger, sur un texte clé, « l’écologie punitive » et la méthode de la Commission européenne. Ce groupe, fondé à l’initiative de Viktor Orban, est composé de partis d’extrême droite de gouvernement : le FPö autrichien, le Vlams Belang belge, la Lega italienne, etc., tous sceptiques quant aux EnR…L’eurodéputée écologiste Marie Toussaint avait alors dans un communiqué, dénoncé un « sabotage organisé, ou l’histoire d’un incendie dont on a confié l’extincteur aux pyromanes. »

Plein Soleil : En ces temps politiques troublés, que se passerait-il pour les EnR en cas d’arriver au pouvoir du RN ?

SF : Elles seraient abandonnées sur le champ. Un moratoire serait voté à n’en pas douter ! Bref, ce n’est pas grâce à ce parti que nous sortirions de la crise écologique. Au contraire : il promettra aux Français de continuer à vivre de la même manière et, pour protéger ce mode de vie, insistera sur la nécessité de fermer les frontières pour ceux -non européens évidemment- qui souhaiteraient en profiter. Ce serait une nouvelle forme de « préférence nationale ». C’est en germe : lors du débat entre Jordan Bardella et Hugo Clément, à chaque fois que le second parlait des enjeux climatiques le premier lui répondait par la fermeture des frontières…


Stéphane François en bref

Stéphane François est historien de formation, professeur de sciences politiques à l’Université de Mons et membre du Groupe Sociétés Religions (EPHE/CNRS/PSL). Spécialiste des droites radicales et de l’écologie politique radicale, il a publié en 2022 l’ouvrage « Les verts-bruns, l’écologie de l’extrême droite française ».

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