lundi, octobre 13, 2025
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Tribune dans Les Echos : « Mettre les réacteurs nucléaires sous cocon, cette option méconnue à explorer d’urgence »

Adopter une gestion flexible du parc nucléaire en mettant certains réacteurs sous cocon pourrait éviter des pénuries futures. Cette solution, économique et rapide à déployer, permettrait de répondre aux incertitudes sur la demande d’électricité, explique un collectif d’experts de l’énergie.

Notre politique énergétique doit diminuer notre dépendance aux énergies fossiles importées, afin de renforcer notre souveraineté, équilibrer notre commerce extérieur et, bien sûr, maîtriser nos émissions de dioxyde de carbone. Très minoritaires dans notre production d’électricité, les combustibles fossiles dominent encore notre consommation globale d’énergie. Pour mieux réduire la consommation d’énergies fossiles, la vraie réponse est d’augmenter la consommation d’électricité.

Mais, son évolution à court terme reste incertaine. Surtout, nous devons prendre en compte des incertitudes plus grandes du côté de l’atome : combien de temps encore nos centrales nucléaires pourront-elles fonctionner ? Saurons-nous construire de nouveaux réacteurs à coût et budget maîtrisés ? Sera-t-il possible de continuer à se sourcer en uranium bon marché dans un contexte d’éloignement géopolitique de la Russie, du Niger, voire des Etats-Unis ?

Dans ces conditions, arrêter le développement de sources qui ne fournissent encore que 15 % de notre électricité serait une grave faute d’imprévoyance, au risque de pénuries durables.

L’exemple des Etats-Unis

Que faire alors si un surplus d’électricité persiste, voire augmente, forçant les tranches nucléaires existantes à des modulations quotidiennes de charge pénalisantes pour leur durée de vie résiduelle ? Mettre de côté, sous cocon, quelques-uns de nos réacteurs nucléaires, comme une option économique pour l’avenir.

EDF l’a déjà fait avec des « Arrêts Garantis Pluriannuels » de centrales à flamme. Aux Etats-Unis, des réacteurs ont été mis « sous cocon », par manque de compétitivité et de demande électrique, dans le cadre du programme SAFESTOR de l’autorité américaine de régulation nucléaire.

Quelques années plus tard, devant les difficultés, les coûts et les délais de construction de réacteurs neufs incompatibles avec les besoins à court terme des data centers, on a décidé de remettre en service deux de ces réacteurs sous cocon, Three Mile Island et Palissades.

Mettre en réserve pour l’avenir

Le coût annuel de maintien « sous cocon » est très faible. Le coût de remise en service, 2.000 dollars par kilowatt, est significatif mais des sommes voisines sont de toutes façons nécessaires pour prolonger le fonctionnement des réacteurs au-delà de quarante années. Le coût d’un réacteur neuf est au moins cinq fois plus élevé. Le délai, surtout, est bien plus long : dix à vingt ans pour une construction neuve, contre une à deux années pour une sortie de cocon.

Il ne s’agit pas d’arrêter prématurément tous les réacteurs économiquement amortis mais qui peuvent encore fonctionner dix ans, il s’agit seulement d’en mettre momentanément quelques-uns en réserve pour l’avenir.

« C’est peut-être la bonne façon d’éviter la fameuse « falaise de déconstruction » du parc nucléaire, symétrique de sa construction en moins de trente ans. Mettre plusieurs réacteurs sous cocon, c’est en adoucir la pente »

C’est peut-être la bonne façon d’éviter la fameuse « falaise de déconstruction » du parc nucléaire, symétrique de sa construction en moins de trente ans. Mettre plusieurs réacteurs sous cocon, c’est en adoucir la pente

Dans l’immédiat, on continue à s’équiper de capacités renouvelables et de stockage d’énergie tout en poussant les feux de l’électrification. Dans quelques années, si la construction des réacteurs neufs prend du retard, si leurs coûts s’avèrent encore trop élevés, si des réacteurs encore en service doivent être arrêtés plus tôt qu’espérés, ou encore si la demande d’électricité croît plus vite que prévu, nous pourrons remettre rapidement en service ces réacteurs sous cocon, à un coût maîtrisé.

Gérer en souplesse les incertitudes

C’est peut-être la bonne façon d’éviter la fameuse « falaise de déconstruction » du parc nucléaire, symétrique de sa construction en moins de trente ans. Prolonger tous les réacteurs ne fait que repousser le moment d’affronter cette falaise.

Lancer dès à présent la construction d’un trop grand nombre d’EPR2 nécessiterait un soutien de l’Etat se traduisant inévitablement par un impact significatif sur la dette française allant à l’encontre des efforts d’économies reconnus comme nécessaires, sans freiner la hausse des prix de l’électricité.

A contrario, mettre plusieurs réacteurs sous cocon, c’est en adoucir la pente, c’est préserver pour l’avenir l’option de bénéficier de réacteurs déjà économiquement amortis, c’est gérer en souplesse les multiples incertitudes de l’avenir.

  • Clément Bayard est expert énergies renouvelables & stockage et membre de l’association « Energies renouvelables pour tous »
  • Cédric Philibert est expert au centre énergies climat de l’IFRI et auteur de « Climat : les énergies de l’espoir », à paraître aux éditions Les Petits Matins.
  • André Joffre est président de Tecsol
  • Antoine Bonduelle est ingénieur et gérant du bureau d’études et recherches E & E Consultant
  • Stéphane His est président de l’association « Energies renouvelables pour tous »

Tribune collective dans le Journal Les Echos

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