Inventeur du terme agrivoltaïsme et président de l’Union mondiale pour l’agroforesterie, Christian Dupraz a livré, lors de la conférence Tecsol à Energaïa, un plaidoyer argumenté en faveur de cette solution hybride, qu’il considère comme l’une des réponses les plus rationnelles au conflit d’usage entre agriculture et production d’électricité.
« L’agrivoltaïsme n’est pas né d’une idéologie, mais d’un constat scientifique », a-t-il rappelé en préambule. Si le mot est récent, l’idée, elle, ne l’est pas totalement. Dès 2008, à Montpellier, au domaine de la Valette, Christian Dupraz et son équipe mettent en place ce qui reste aujourd’hui la première expérimentation agrivoltaïque documentée au monde, toujours observable. À l’époque, les chercheurs ignoraient encore que des initiatives comparables existaient déjà au Japon, restées longtemps non publiées.
Le déclic est avant tout énergétique. « L’agriculture a toujours produit de l’énergie », rappelle l’agronome, évoquant le rôle historique des cultures dans l’alimentation animale et la traction. Mais avec l’essor des agrocarburants, un calcul s’impose rapidement : la biomasse est nettement moins efficace que le photovoltaïque. « Avec un hectare de terre agricole en France, on fait rouler une voiture thermique 20 000 km. Avec un hectare de panneaux photovoltaïques, on fait rouler un véhicule électrique près de 3 millions de kilomètres. Le rapport est de 1 à 200 », martèle-t-il.
Pour Christian Dupraz, le raisonnement est implacable : brûler des cultures alimentaires n’a guère de sens quand l’électricité solaire permet une conversion directe, plus efficace et moins destructrice de valeur. Fort de son expérience en agroforesterie — discipline consistant à associer arbres et cultures pour mieux valoriser le soleil, l’eau et l’azote — il propose alors d’y intégrer le photovoltaïque.
Des effets agronomiques contrastés mais maîtrisables
La question des rendements agricoles reste centrale. « Dire que l’agrivoltaïsme ne réduit jamais les rendements serait faux. Mais dire qu’il les réduit toujours l’est tout autant », nuance Christian Dupraz. Les cultures à forte biomasse — maïs, betterave — sont en effet très sensibles à l’ombrage. En revanche, de nombreuses productions souffrent aujourd’hui de l’excès de chaleur et de rayonnement, aggravé par le changement climatique.
Viticulture, arboriculture fruitière, maraîchage, pâturages en zones contraignantes : dans ces systèmes, l’ombre partielle apportée par les panneaux peut améliorer la résilience et parfois les rendements. « Ce sont ces cultures-là qui constituent le cœur de l’agrivoltaïsme efficace », insiste-t-il.
Christian Dupraz se montre en revanche très critique sur le cadre réglementaire français, qui exige le maintien de 90 % du rendement agricole de référence. « C’est une mission impossible. Les agriculteurs ne peuvent pas faire des miracles », estime-t-il, plaidant pour un alignement sur des seuils plus réalistes, comme en Allemagne (66 %) ou en Italie et au Japon (80 %). À défaut, prévient-il, le risque est de placer les agriculteurs dans une situation de dépendance et d’insécurité juridique.
Une opportunité limitée mais stratégique
L’agrivoltaïsme ne prétend pas « sauver l’agriculture », tempère le chercheur. Mais son potentiel reste considérable. « 1 % de la surface agricole française suffirait à produire autant d’électricité que nos 57 réacteurs nucléaires actuels », souligne-t-il. Une proportion qu’il juge parfaitement raisonnable, à condition de privilégier des projets de qualité, bien intégrés aux territoires.
Sur l’acceptabilité, Christian Dupraz appelle à la prudence. Il se montre réservé sur les très grands projets, susceptibles de fragiliser l’image de la filière, et plaide pour une meilleure place accordée aux projets intermédiaires. Il regrette aussi l’impossibilité actuelle de développer des microprojets à l’échelle des exploitations, pénalisés par des contraintes administratives identiques à celles des grandes centrales.
Parmi les pistes avancées figure l’idée d’un « droit de tirage agrivoltaïque » : chaque agriculteur disposerait d’un quota mobilisable ou cessible, permettant une répartition plus équitable des bénéfices et une meilleure acceptation sociale.
Une dynamique mondiale déjà lancée
En conclusion, Christian Dupraz appelle à regarder au-delà des frontières. « L’agrivoltaïsme est déjà lancé à grande vitesse ailleurs », affirme-t-il. Allemagne, Italie, Asie : les cadres juridiques y sont souvent plus lisibles et plus favorables. La plus grande centrale agrivoltaïque mondiale est aujourd’hui en Chine, avec 1 GWc installé sur plus de 1 000 hectares, combinant production solaire et culture de baies de goji.
« Cette énergie photovoltaïque décentralisée va s’imposer partout », conclut-il, convaincu que l’agrivoltaïsme, loin d’être un compromis marginal, deviendra l’un des piliers de la transition énergétique et agricole mondiale.





