Spécialiste français des centrales hybrides solaire/stockage, Ze Energy poursuit son développement autour de certitudes bien ancrées sur ses choix technologiques. Il faut dire que la stratégie d’hybrider solaire et stockage apparaît comme la solution d’avenir à l’heure de la saturation des réseaux et de la multiplication effrénée des plages horaires de prix négatifs. Centrales hybrides mode d’emploi avec Mathieu Lassagne, ancien d’Engie et fondateur de Ze Energy !
Plein soleil : Ze Energy a été créée en 2019 avec l’objectif de développer des centrales hybrides solaires et stockage. Vous avez été visionnaire à l’époque. Qu’est-ce qui vous a conduit à intégrer le stockage, véritable chaînon manquant de l’écosystème renouvelable et clé du futur du solaire compétitif ?
Mathieu Lassagne : Vous dites que je suis un visionnaire mais vous savez, je n’ai pas tant de mérite que cela. Quand Engie a repris Solaire Direct en 2016, nous avons déjà été confrontés à une surproduction de renouvelables. C’était au Chili, en plein désert d’Atacama qui était parsemé de méga centrales solaires. Nous étions dans un lieu de super irradiation au milieu d’un désert, qui par définition, n’était pas propice à la consommation. Nous avons subi de plein fouet le plafond de verre en matière de disponibilité du réseau et de cannibalisation. Nous avons payé pour apprendre. Nous avons ainsi été contraints de brider nos centrales à moitié de leur production pendant plus d’un an et demi puis subi l’effondrement des prix nodaux de l’électricité en journée. Autant vous dire que le modèle économique des centrales ne relevait pas de l’évidence.
« En France, les postes sources sont saturés »
PS : Est-ce à dire que la situation vécue au Chili à l’époque vous a permis d’anticiper ce que nous vivons aujourd’hui en France et en Europe ?
ML : Avec le fort développement des renouvelables, nous prévoyions qu’à un moment donné la disponibilité des réseaux français et européens ne suivrait plus. Elle n’était pas calibrée pour un tel volume de sites décentralisés. En France, les postes sources sont saturés et ne peuvent plus intégrer de nouvelles productions renouvelables sans de lourds travaux de renforcement qui représentent, qui plus est, un coût considérable et qui mettent, dans bien des cas, plusieurs années à voir le jour.
PS : A ce titre le projet de centrale hybride solaire + stockage de Vert dans Les Landes que vous venez d’inaugurer est significatif de la problématique rencontrée à l’heure actuelle par les développeurs. Qu’en est-il ?
ML : A Vert, la centrale solaire existante a été conçu pour diversifier les ressources des communes landaises fortement impactées par la tempête Klaus de 1999 qui a dégradé l’activité forestière. Cette centrale de 77 MW faisait face à des problèmes de raccordement, la capacité réseau ne dépassant pas les 50 MW en ce lieu. L’idée a donc été d’y greffer du stockage – 29,6 MWh de batteries – en colocalisation afin de permettre l’évacuation de la production dans un raccordement limité en lissant la production en journée. Nous avons donc racheté cette centrale solaire et fait modifier la PTF pour rajouter des batteries. Grâce à cette hybridation, le parc est désormais capable de produire et stocker 90 GWh/an. Cet ajustement de développement permet d’accéder à une rentabilité soutenable et gagnante. Il permet aussi de se prémunir de la volatilité des prix de l’électricité et d’apporter une stabilité au business model de l’actif solaire. L’énergie produite dans la centrale de Vert alimentera les réseaux et infrastructures d’Orange, dans le cadre d’un contrat d’achat d’énergie à long terme (CPPA) d’une durée de 15 ans.
« Annuler les effets de cannibalisation »
PS : Le stockage devient donc un atout fondamental pour le développement du solaire et la résilience du réseau ?
ML : Il ne sert à rien de dimensionner et de payer un raccordement au réseau pour la pointe de midi, qui plus est, aux heures où l’électricité ne vaut pas très cher, voir coûte de l’argent, en période de prix négatifs. Ce n’est pas vertueux sur le plan systémique. N’oublions pas que ce sont les consommateurs qui payent le renforcement du réseau. Avec le développement des renouvelables sur fond de consommation électrique qui stagne, il devient ainsi fondamental d’augmenter le facteur de charge des raccordements et de maximiser le taux d’utilisation de l’investissement réseau. Le stockage de deux à quatre heures le permet en annulant les effets de la cannibalisation. Couplé à des batteries, le solaire vit sa vie et le réseau devient efficient. Un combo gagnant-gagnant qui engendre des économies !
PS : Est-ce à dire que les futurs AO devront intégrer du stockage ?
ML : Les AO solaires ne peuvent pas continuer sous leur forme actuelle. Il s’agit d’une question très sensible en cette période de vote de budget quant au coût pour les finances publiques. Plus de solaire, donc plus de cannibalisation, c’est aujourd’hui synonyme d’augmentation du complément de rémunération. Alors que la filière est déjà dans le collimateur de nos politiques, il serait suicidaire de poursuivre les AO en l’état. Là aussi, il est pertinent d’aller voir ailleurs comme en Australie par exemple. L’île continent qui est confrontée à de longues périodes de prix très négatifs a pris le virage de l’hybridation solaire+stockage depuis un certain temps déjà.
Aujourd’hui, il ne se construit plus de centrales solaires sans stockage en Australie, pour des durées comprises entre quatre et six heures. Les Etats-Unis s’y mettent aussi. En Allemagne, des AO Innovations intègrent désormais du stockage en hybridation. Nous allons d’ailleurs candidater sur ces AO allemands. Partout dans le monde, le stockage va courir après le développement du solaire. En France, nous devons prendre le virage rapidement. La filière et la DGEC n’ont pas suffisamment préparé la suite à mon sens, tout le monde a été surpris par cette arrivée brutale et massive des périodes de prix négatifs.
« Le stockage, entre stabilité du réseau et régulation de fréquence »
PS : Restez-vous optimisme pour le développement du solaire en France au vu de la situation ?
ML : Bien entendu, je reste confiant sur le développement du solaire, une énergie économiquement imbattable et locale, deux atouts essentiels. C’est une énergie qui va dans le sens de l’histoire à certaines conditions tout de même. La première relève de l’acceptabilité locale des projets qui doivent être menés en co-construction avec les élus des territoires. Deuxième condition : le sevrage du soutien public. Nous dévons désormais sortir des projets à zéro argent public, travailler sur l’autoconsommation individuelle et collective et les PPA. Enfin, l’ajout de la brique du stockage couplé au solaire apporte des solutions au réseau notamment en matière de stabilité et de régulation de fréquence. Un bien commun !
PS : Ze Energy qui compte une cinquantaine de salariés aujourd’hui dispose de100 MW en exploitation. Quels sont les projets à venir ? Les futures orientations ?
ML : Nous sommes en train de développer une grappe de dix projets dans la Vienne en lien avec l’agriculture, entre fourrage et pâturage. Puissance totale : 150 MW d’agrivoltaïque et 150 MW de stockage. Pour ce faire, nous envisageons une nouvelle levée de fonds courant 2026. Comme il a déjà été dit, nous allons candidater aux AO Innovations en Allemagne. Nous sommes aussi présents en Italie ou nous avons déjà un premier stockage en exploitation, et venons d’être lauréats de l’appel d’offre stockage MACSE lancé par TERNA, pour un projet de 100MW, 830MWh !
Nous avons également un œil sur le repowering qui est un marché naturel pour l’hybride. Un sujet très technique. Lors des repowerings les centrales peuvent sur une même surface gagner jusqu’à 80% de puissance en plus, avec un raccordement qui n’est pas forcément possible à envisager. Le stockage apporte la solution. Je pense qu’il est encore un peu tôt pour la France en matière de repowering. Dans deux ou trois ans, le sujet sera d’actualité. Il l’est déjà en Allemagne. Nous y sommes attentifs…





